Muriel Descas-Ravoteur, Micheline Marlin-Godier, Femmes de la Martinique : quelle histoire?, 2008 (fiche de synthèse 1/2 : Conditions féminines (avant l'abolition de l'esclavage en 1848)

06/04/2018

Cette publication est un dossier qui interroge l'évolution de la condition féminine, non seulement au cours des dernières décennies de lutte pour l'égalité des droits, mais aussi depuis la formation de la société martiniquaise.

J'ai utilisé ce dossier pour le thème 3.3. Conditions féminines dans une société en mutation (Antilles comprises) au XIXe siècle (cf. adaptation des programmes B.O. n°11 du 16 mars 2017). La troisième partie du dossier est celle qui est la plus intéressante pour travailler ce thème avec les élèves.

Ce dossier est synthétique et contient des sources référencées avec rigueur. Une banque documentaire incontournable pour tout travail sur les femmes en Martinique.


Dès la fin du XVIIe siècle, les esclaves sont majoritaires dans les Antilles françaises avec la fin de l'engagement et la multiplication des sucreries (324 sucreries en 1788) nécessitant de la main-d'oeuvre. Ainsi en 1791, les esclaves de l'habitation sucrerie La voisine à la Grand'Anse sont 52 femmes (> 12 ans) et 70 hommes (>14 ans). 48 de ces femmes sont des "négresse de jardin".


Conditions féminines avant l'abolition de l'esclavage (1848)

1.1. Les femmes esclaves comme instrument de travail

La majorité des femmes sont des "négresses de jardin". En effet, ce travail sans savoir-faire particulier est effectué par les hommes et les femmes. Deux fonctions sont principalement occupées par les femmes celles d'"amarreuses" et de "gardeuses". L'amarreuse rassemblent les cannes en gerbes puis au moulin elles entament l'opération de broyage des tiges. Cette activité très dangereuse, leur est réservée jusqu'au XIXe siècle. Tandis que les "gardeuses" ont une fonction de surveillance (gardienne de manioc, d'enfants, de poulailler, d'hôpital). Les hommes occupent aussi cette fonction. 

Les femmes domestiques ont des fonctions distinctes de celles des hommes. Elles sont couturières, blanchisseuses, servantes, ménagères. Ce sont souvent des mulâtresses. Les domestiques sont des personnels mieux nourris, mieux habillés et mieux logés que les autres esclaves.

L'hospitalière et la sage-femme (accoucheuse) s'occupent des malades et des femmes enceintes sur les habitations. Elles ont un rôle important mais ne sont pas présentes sur toutes les habitations.

Enfin, les femmes esclaves des villes se concentrent essentiellement à Saint-Pierre et à Fort-Royal. Les citadins ont aussi besoin de domestiques. Être blanchisseuse, cuisinière, couturière ou marchande permet à certaines esclaves de se constituer un pécule, et elles peuvent ainsi être affranchies.

La défense des femmes esclaves sont un thème de propagande que les abolitionnistes multiplient. En effet, maltraiter une femme qui a l'image de la douceur et de la fragilité serait un signe de lâcheté. L'opinion publique européenne est sensible aux mauvais traitements infligés aux femmes esclaves dans les colonies, aux enfants esclaves vendus sans leur mère. Cette propagande provoque un mouvement de sympathie pour les femmes noires. Ainsi, l'usage du fouet est-il interdit sur les femmes pendant la Monarchie de Juillet sous la pression de l'opinion et dans le cadre des discussions sur loi Mackau.

1.2. Les femmes libres

Le métissage est à l'origine de la naissance d'un nouveau groupe juridique : les libres de couleur. En 1847, la Martinique compte 38 729 libres de couleur (hommes et femmes). Les femmes de couleur libres jouissent de la liberté bien que non blanches. Certaines sont nées libres, d'autres ont été affranchies de diverses façons : par leur père blanc, par le maître pour bons et loyaux services et plus rarement en achetant leur liberté. En réalité, les hommes et femmes de couleur libres ne jouissent pas totalement de leur liberté : ils ont des écoles différentes, des métiers interdits, ils ne peuvent pas se faire appeler "sieur" ou "madame"... jusqu'en 1833 (loi du 4 avril 1833).

Toutefois, les libres de couleur en particulier les femmes acquièrent une indépendance économique avant même la reconnaissance officielle de leur liberté (cf. les arrêtés collectifs d'affranchissement à partir de 1832). Elles sont marchande (de confiserie, de mode, de poissons...), habitante propriétaire, blanchisseuse, ouvrière... Elles ont donc une activité rémunératrice.

Les femmes artisanes et marchandes principalement mulâtresses constituent un groupe urbain dynamique.

En ville ou à la campagne, elles peuvent être propriétaires d'esclaves qui les aident dans une activité artisanale (couturière), commerciale ou agricole ou peuvent être loués à l'extérieur.

L'éducation, est un moyen de mobilité sociale pour les femmes de couleur les plus riches. Au XIXe siècle, l'accès à l'instruction se développe pour les libres des deux sexes et certaines filles issues des familles libres de couleur les plus aisées ont fréquenté des écoles au Fort-Royal ou à Saint-Pierre où elles recevaient une éducation similaire à celles des jeunes filles blanches. A l'école de Mlle Garnerin, à Saint-Pierre, les filles de couleur apprennent la morale, la géographie, l'histoire, les mathématiques, la lecture, l'écriture et la religion. Cette école relève du gouvernement et accueille des filles dès 1833.


1.3. Les femmes riches

Les femmes blanches créoles du XVIIIe et XIXe siècles sont issues de milieux différents, descendantes des épouses des premiers colons, des femmes engagées issues de la paysannerie et des filles de l'hôpital de la Salpêtrière. 

Les petites filles créoles issues des familles aisées sont très souvent envoyées au couvent ou en pension privée en France. Cependant des écoles existent en Martinique : l'école des Ursulines à Saint-Pierre, la Maison de la Providence Royale... A l'instar de l'éducation des filles dans la métropole, ces jeunes filles sont préparées à devenir de bonnes épouses (douces et soumises) et de bonnes mères (aimantes et fermes). 

Les femmes blanches qui sont obligées de travailler pour subvenir à leurs besoins sont soit veuves, soit peu aisées ou nouvellement arrivées de France. En ville, elles sont plus nombreuses. Les plus puissantes et riches sont les négociantes, mais restent très rares. Elles reprennent souvent l'activité de leur mari décédé. Mme Dupuy et Mme Fourniols réussissent et s'enrichissent.

Les femmes blanches de l'élite, une fois qu'elles sont mariées sortent de chez elles accompagnés de leur mari : la messe le dimanche, les bals organisés, le théâtre, l'opéra de Saint-Pierre et Fort-Royal.


C'est un excellent dossier qui gagnerait à être numérisé avec l'accord des auteures.

Pour approfondir :

Léo Elisabeth, La Société martiniquaise aux XVIIe et XVIIIe siècles - 1664-1789, SHM-Kartala, 2003

Frédéric Régent, Esclavage, métissage, liberté : la révolution française en Guadeloupe 1789-1802, Grasset, 2004

Gilbert Pago, Les femmes et la liquidation du système esclavagiste à la Martinique, 1848-1852, Ibis Rouge, 1998

Jenny Léger, Contribution à l'histoire de l'enseignement à la Martinique du XVIIe au XIXe siècle, thèse de doctorat, Bordeaux II, 1981